Sociétés savantes et syndicats médicaux clament leur opposition au moratoire sur les fermetures de maternités

PARIS, 2 juin 2025 – Les syndicats médicaux et sociétés savantes dans le domaine de la périnatalité dénoncent, dans plusieurs communiqués, la proposition d’un moratoire sur les fermetures de maternité, jugeant cette démarche « purement électoraliste », fondée sur des arguments peu ou pas étayés scientifiquement, et sans concertation avec les professionnels concernés.

L’Assemblée nationale a adopté le 15 mai en première lecture une proposition de loi « visant à lutter contre la mortalité infantile », après avoir réintroduit dans le texte un moratoire de trois ans sur les fermetures de de maternités. Cette mesure avait été précédemment retirée en commission des affaires sociale.

Dans une tribune diffusée lundi, les syndicats* de gynécologues-obstétriciens, anesthésistes-réanimateurs, pédiatres, urgentistes (voir la liste en fin de dépêche) dénoncent « une proposition de loi purement électoraliste : la fermeture définitive d’une maternité est toujours vécue comme un échec pour les élus, qui se sont toujours battus pour maintenir ‘leur’ maternité quoi qu’il en coûte… ».

Ils ajoutent que « sous prétexte d’accès aux soins pour tous et d’un mirage de sécurité et de qualité des soins, cette mesure a été imaginée sans aucune concertation avec les professionnels concernés », et s’étonnent de cette démarche alors qu’une mission sénatoriale sur la périnatalité a eu lieu en 2024 et n’a pas conduit à cette conclusion.

Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) s’est également déclaré « très inquiet » de ce moratoire, dans un communiqué publié peu après le vote en première lecture à l’Assemblée nationale.

La Société française de médecine périnatale (SFMP) dénonce quant à elle un « mensonge » de la part des députés qui ont justifié le moratoire en affirmant que la mortalité infantile avait pour cause la fermeture des petites maternités.

Les maternités de moins de 300 accouchements « ne devraient pas exister » réglementairement, rappellent les syndicats médicaux dans leur tribune, puisqu’elles n’ont pas d’autorisation de soins et ne peuvent rester ouvertes que par dérogation de l’agence régionale de santé (ARS).

En outre, plusieurs fermetures de ces petites maternités sont intervenues justement à la suite de décès maternels et néonataux, jugés évitables.

« Il est impossible de maintenir des compétences, à moins d’un accouchement par jour, sur la gestion de ces complications imprévisibles (césarienne en grande urgence, hémorragie, détresse respiratoire néonatale, etc.) », insistent-ils.

Par ailleurs, l’existence d’une maternité sous-tend la disponibilité H24 d’un gynécologue-obstétricien, d’un anesthésiste-réanimateur, d’un pédiatre; l’absence d’un de ces trois acteurs entraîne la fermeture temporaire de la maternité ou l’utilisation de solutions dégradées non réglementaires et dangereuses pour la femme et l’enfant à naître ».

La pénurie existante de médecins dans ces trois spécialités « ne peut que nous interroger sur la

pertinence de s’opposer à un regroupement des maternités ». « Il s’ensuit l’absence d’équipe stable (recours constant à des intérimaires), ce qui altère nettement la qualité du travail d’équipe pourtant indispensable à la qualité des soins en salle de naissance », rappellent-ils.

Et la fermeture temporaire d’une maternité pour manque de personnel oblige un autre établissement à absorber l’activité, souvent en urgence, contribuant à le fragiliser encore plus à son tour. Et « dans ces conditions, le transfert en urgence vers des maternités à ressources humaines compétentes requiert l’utilisation d’une ligne de Smur médicalisée (et on connaît la pénurie dans cette spécialité également), la perte de temps induite étant une perte de chance pour la mère et/ou le nouveau-né ».

Des mesures jugées contradictoires et ineptes

Les organisations demandent donc l’abandon des mesures de la proposition de loi relatives au moratoire de trois ans sur la fermeture des maternités et à la réalisation par le gouvernement d’un rapport d’évaluation visant à « garantir la pérennité de ces établissements [de moins de 300 accouchements par an], notamment en termes de moyens financiers et humains ».

Elles considèrent que la première mesure « se contredit » elle-même: le texte de la proposition de loi indique qu' »aucune activité d’obstétrique ne peut voir son autorisation retirée ou remise en cause, sauf en cas d’urgence tenant à la sécurité des patients ».

Or les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an sont « des maternités dangereuses », si l’on suit l’argumentaire développé par les organisations professionnelles.

Elles rappellent aussi qu’une enquête réalisée en 2018 montrait que les moyens humains en anesthésie-réanimation étaient très insuffisants en cas de complication dans les maternités réalisant moins de 2.000 accouchements.

Ainsi, la mesure de la proposition de loi relative au rapport d’évaluation visant à donner les moyens de faire fonctionner les petites maternités « est une ineptie ».

Les organisations demandent la réouverture des discussions sur la révision du décret de périnatalité de 1998 -désormais obsolète. Cette révision avait été commencée en 2018-2019, avant d’être interrompue par la crise du Covid-19, et avait déjà permis de sérier les évolutions de ce décret, sur deux points précis:

Une adéquation des effectifs (sage-femmes, gynécologues-obstétriciens, pédiatres, anesthésistes-réanimateurs et infirmiers anesthésistes) à la taille des maternités actuelles, qui constitue un élément majeur de l’attractivité des salles de naissance pour ces professionnels, leur permettant de constituer des équipes stables et de travailler dans une ambiance sécuritaire.

  •  Une labellisation des maternités par niveau adapté au risque maternel, à l’instar de ce qui existe pour les enfants à naître. « Cette double définition (risque néonatal ET risque maternel) permettrait d’identifier, a priori et le cas échéant a posteriori, un adressage adapté de la mère et de l’enfant au bon endroit, dans le cadre d’un maillage territorial adapté au territoire et du réseau périnatal de région ».

Elles dénoncent l’absence d’engagement à ce jour de ministres qui se sont succédé depuis 2020.

L’organisation territoriale prime sur le nombre de maternités

Le CNGOF, rejoignant ces constats, souligne que « tous les chiffres disponibles montrent que la sécurité est la plus élevée dans les pays qui ont su renoncer aux petites maternités ».

« Pour assurer la sécurité, les soins doivent obligatoirement reposer sur des équipes stables et soudées ». Et pour cela, le collège prône le regroupement des maternités, et « le maintien d’une proximité sous forme de la création de centres périnatals de proximité quand ils sont nécessaires, et le renforcement planifié des maternités dont le fonctionnement doit être adapté aux évolutions des pratiques professionnelles et des souhaits des patientes ».

De nouvelles bases de fonctionnement ont été proposées par le CNGOF et les sociétés savantes d’anesthésie-réanimation (Sfar), de néonatalogie (SFN) et le Collège national des sages-femmes (CNSF), rappelle-t-il. « Une planification territoriale rationnelle est indispensable, seule réponse possible et fiable à la réduction de la mortalité maternelle et néonatale. »

La SFMP, qui a présenté ses propositions au gouvernement en mars note également qu' »en Finlande comme en Suède les fermetures de maternités ont été proportionnellement beaucoup plus importantes qu’en France, pourtant la mortalité infantile y est d’environ 2‰, soit deux fois moins que dans notre pays (4,1‰) ». Mais ces fermetures « ont été planifiées et réalisées dans le cadre d’une réorganisation globale de l’offre de soins, dont nous devrions nous inspirer », souligne le Pr Damien Subtil, vice-président de la SFMP.

Il y a en outre deux fois moins de maternités en Suède qu’en France, proportionnellement à la population, mais elles réalisent 2.500 accouchements/an en moyenne » et disposent toutes d’une unité de néonatologie, ce qui permet d’apporter les réponses adéquates aux cas d’urgence et aux accouchements à risque », alors qu’en France, 40% des maternités n’ont pas de service de néonatologie.

« En faisant primer la sécurité des soins sur la proximité, la Suède a réduit de 20% la mortalité infantile en dix ans alors qu’elle s’est accrue chez nous de plus de 15% pendant a même période ».

L’organisation territoriale des soins prime sur le nombre de maternités, estime la Pr Delphine Mitanchez, présidente de la SFMP. Le moratoire « n’empêchera pas les plateaux d’accouchement de cesser leur activité, même si les portes des maternités restent ouvertes. Car nous n’avons pas assez d’obstétriciens, de sages-femmes, d’anesthésistes-réanimateurs, de pédiatres pour faire fonctionner toutes les maternités de France. »

* La tribune est signée par le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARE), le Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof), le Syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers (SNPEH), Samu-Urgences de France (SUdF), ainsi qu’Action Praticiens Hôpital (APH)

Références :